La fibre et la « high tech » ne sont plus l’apanage des seuls métropoles. Pour répondre à la demande des entreprises, principalement, les opérateurs régionaux se multiplient. Leur force réside dans les infrastructures locales dont ils sont parfois propriétaires et dans leur capacité à tirer profit des nouveaux réseaux d’initiative publique (RIP).
Êtes-vous prêts à opter pour la fibre bisontine ? Pour les services de cloud computing de Bretagne Télécom ? Ou bien pour accès et un hébergement centré sur la ville rose, avec Fullsave ? Cela peut a priori sembler paradoxal. Mais, à l’heure de la concentration internationale dans les télécoms, la France voit régulièrement débarquer dans ses terroirs de nouveaux opérateurs ultra-localisés, qui misent sur la proximité et la qualité des services apportés aux clients, notamment pros. « Parmi les clients de Bretagne Télécom, par exemple, nous avons un grand transporteur local qui nous précisait récemment qu’il avait l’impression de nous avoir confié les clés de l’un de ses actifs les plus précieux, à savoir ses données », indique Nicolas Boittin, PDG de Bretagne Télécom. « Les pros adorent savoir où sont réellement stockées leurs données et ils veulent des garanties en termes de disponibilité ».
Pas étonnant, dès lors, d’apprendre que cet opérateur basé à Rennes a aussi ouvert un bureau à Paris à l’attention des groupes bretons disposant d’une filiale dans la capitale. En termes de marketing, ses offres de cloud sont illustrées par un serveur incrusté dans un menhir (« Chez nous, vos données sont bien gardées ») et l’ouverture d’une extension francilienne a donné lieu à une installation (virtuelle) de deux grands menhirs à proximité de la place de l’Etoile – « Votre opérateur breton gagne du terrain… pour accompagner votre société sur tout le territoire », dit le slogan.
Cœurs de réseaux et/ou infrastructures lourdes
Le marché foisonne d’initiatives, même s’il manque toujours à ce jour de lisibilité : plusieurs opérateurs sont d’ailleurs en train de se réunir dans une « Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs » (AOTA) qui aura vocation à leur donner de la visibilité auprès des entreprises et des pouvoirs publics.
Aux opérateurs « agrégateurs », comme Alphalink, qui se positionnent en intermédiaire et se sont fait une spécialité d’agréger les accès aux infrastructures et aux offres de services de tierces parties afin de les proposer aux entreprises et à des opérateurs virtuels, s’ajoutent des opérateurs de proximité de plus ou moins grandes tailles agissant sur une ou plusieurs régions et disposant de leurs propres infrastructures de connexion (collectes, coeurs de réseaux…). Dans cette catégorie, on peut citer l’opérateur-hébergeur d’entreprises Nerim, Hexatel, Jaguar Network, Lasote ou Stella Telecom, qui sont surtout présents dans les grandes métropoles hexagonales ; Metro Optic (Québec, et régions franciliennes et lilloises) Pacetel (Poitou-Charentes) ; Pacwan (région PACA) ; Saclak Network (Poitou-Charentes) ; IZZYcom (Quimper) ; Techcréa Solutions (Valenciennes) ; et Trinaps (qui a relié à son infrastructure fibre optique plusieurs zones d’activité des territoires de Belfort, du Doubs et de Haute-Saône…).
S’y ajoutent des opérateurs déployant leurs propres infrastructures « lourdes » (fibre noire) sur des zones stratégiques pour eux. C’est le cas de Netalis, qui couvre pour l’heure surtout la Bourgogne-Franche Comté, sa région d’origine, et s’appuie sur un réseau de partenaires pour déployer son propre réseau dans l’agglomération de Besançon.
L’objectif : « maîtriser la qualité de service de bout en bout », explique Nicolas Guillaume, co-fondateur de cet opérateur. Il s’agit de se doter d’un réseau FTTO (« Fiber To The Office »), amenant la fibre jusqu’à l’entreprise (y compris sur des terrains particulièrement élevés ou escarpés !). Idem pour d’autres opérateurs d’entreprises, comme Colt, Celeste et Fullsave (dans la région toulousaine), qui ont déployé des kilomètres de fibres et se sont équipés de leurs propres salles d’hébergement (ou bien louent des espaces dédiés dans de grands centres mutualisés).
Avec ses 4 000 clients, dont un tiers sont des entreprises franciliennes, l’opérateur Celeste, créé en 2001, a commencé à proposer ses premières offres d’accès en fibre optique aux entreprises en 2006 et « il déploie son propre réseau de fibres optiques depuis 2011 », indique Nicolas Aubé, président-fondateur de Celeste. Plus de 1500 kilomètres de câbles optiques ont déjà été déployés dans une vingtaine de « grosses » agglomérations. Et l’opérateur spécialiste du très haut débit, qui s’interface avec une quarantaine de réseaux d’initiative publiques partout dans l’Hexagone, s’est doté d’une quarantaine de points de présence (POP) où il a installé des routeurs « Edge ». Ce qui lui permet de raccorder en « point à point » les fibres desservant les entreprises avoisinantes…
Dans l’agglomération toulousaine, FullSave, hébergeur et opérateur, se démarque pour sa part avec quatre datacenters, dont un centre d’hébergement neutre accueillant plus de 700 mètres carrés de salles blanches et bénéficiant d’un double raccordement en fibre optique opéré par ses soins. L’opérateur juge indispensable « de maîtriser au maximum ses propres infrastructures ». Il opère « un backbone métropolitain », des « des portes de collecte auprès des principaux acteurs de boucle locale » et des « points de présence techniques à Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille », précise Hugues Brunel, directeur général.
Offres comparables ou meilleures
Mais pour marquer des points en région, rien de tel que d’essayer au maximum de se différencier des trois grands opérateurs nationaux, en mettant en avant la proximité du service client et des offres au moins comparables à celles d’Orange, SFR et Bouygues Telecom.
Après des débuts dans le Wimax (accès sans fil à l’internet haut débit), WiBox, une filiale d’Altitude Infrastructure, s’est ainsi réorientée en 2014 vers le métier d’opérateurs de réseaux de fibre optique pour les particuliers. Première spécificité ? Il est aujourd’hui le premier opérateur sur les réseaux d’initiative publique (en nombre de prises FTTH, pour « Fiber to the Home » en anglais), et en particulier sur les RIP qui ont été déployés par sa maison mère. Deuxième singularité : pour un tarif mensuel de 29,90 euros, les 13 000 premiers abonnés FTTH actuels « accèdent à une offre en tous points comparables à celles des grands opérateurs », selon Ilham Djehaich, directrice générale de Wibox. Une offre qui inclue l’accès la voix et l’internet très haut débit, bien sûr, mais aussi une offre TV particulièrement large (« et très appréciée », selon Ilham Djehaich) proposant un accès à 160 chaînes, dont une cinquantaine en haute définition.
« Nous allons sur des zones qui ne sont pas ou pas entièrement couvertes par les grands opérateurs, », ajoute cette spécialiste. Wibox – qui s’est déjà installé dans l’Eure, la Moselle, le Doubs, le Morbihan et la Lozère – entend ainsi recruter 90 000 abonnés supplémentaires d’ici 5 ans, notamment dans la Manche, en Alsace et dans les trois départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Pas question pour autant de créer une multitude de petites marques régionales, et de répliquer ainsi le succès de Normandnet, l’un des ancêtres d’Altitude, au début des années 2000. « Le but est d’industrialiser l’offre et des déclinaisons régionales de la marque nous poseraient un certain nombre de difficultés, et engendreraient des problèmes de coûts », souligne Ilham Djehaich. « On travaille en fait l’aspect local à un autre niveau, et notamment avec le recrutement de commerciaux terrain, qui vont au devant des futurs abonnés, et au travers de l’organisation de mailings et de réunions publiques. »
Valeur ajoutée en termes de services
Mais c’est bel et bien sur la qualité de services que ces opérateurs jugent qu’ils ont une carte à jouer, notamment « avec les entreprises qui ne se satisfont plus des offres industrielles et packagées », comme le souligne Alexandre Nicaise, PDG d’Alphalink. « Le bouche-à-oreille fonctionne à plein dans ce petit milieu », justifie Nicolas Boittin (Bretagne Télécom). « Les DSI parlent très bien entre eux ! »
« Nous sommes un opérateur de proximité et nous prenons toujours le temps d’écouter et d’essayer de comprendre parfaitement les besoins des entreprises qui viennent vers nous », confie Hugues Brunel chez FullSave. En Poitou-Charentes, Pacetel, fruit du travail commun de six entreprises régionales évoluant dans le monde de l’informatique, va encore un peu plus loin. L’opérateur, qui s’appuie sur les réseaux d’initiative publiques (tel le Grand Poitiers Networks, déployé par Covage), peut espérer profiter de sa qualité de « petit opérateur alternatif » pour « proposer des offres sur mesure et un contact technique dédié à chaque client », selon Jérôme Legal, directeur général. Et il espère proposer des accès sur mesure aux entreprises dont il gère parfois déjà les infrastructures informatiques. Chacune de ses offres (accès très haut débit, interconnexion, téléphonie IP et mobile) est déployée et intégrée par une équipe technique interne. Et bien sûr locale…