Journal des Télécoms – « Recyclage et reconditionnement : où en sommes nous ? » (02/2016)

Après les particuliers, les entreprises françaises sont de plus en plus nombreuses à s’intéresser aux équipements télécoms et aux terminaux de seconde main, remis en état et revendus par des grossistes et des sociétés spécialisées. Leur première motivation est d’ordre économique. Mais en privilégiant l’occasion, les entreprises ont aussi l’ambition d’améliorer leurs bilans carbones. Quant aux distributeurs, ils investissent ce marché qui promet de fortes marges. Enquête.

Investir dans de l’ancien ? Si la recette a fait ses preuves dans l’immobilier, elle est émergente dans les télécoms d’entreprise, pour lesquels les acheteurs privilégient bien souvent les équipements neufs. Mais l’achat d’occasion, jugé ringard et peu fiable il y a encore quelques années, « se développe très rapidement », affirme Benoit Varin, co-fondateur de Recommerce Solutions, l’un des principaux spécialistes français de la reprise et de la revente de produits électroniques reconditionnés. Fin 2015, son entreprise s’est renforcée sur ce segment de marché, avec une nouvelle offre centrée sur la réparation et la revente de flottes de smartphones pros. Un service qui aurait rapidement trouvé son public, d’après lui.

Tous segments confondus, l’institut Gartner estimait l’an dernier à 7 milliards de dollars le marché mondial des smartphones de seconde main, avec 56 millions d’unités commercialisées, et il anticipait un doublement des ventes d’ici 2017. Plus récemment, le cabinet de conseil Deloitte évaluait pour sa part à 11 milliards de dollars le marché international des smartphones d’occasion et il misait sur un franchissement de la barre des 17 milliards dès 2016 (avec des ventes se situant en moyenne à 135 dollars par portable).

Réduire les coûts et protéger l’environnement

Plusieurs facteurs expliquent la vigueur du marché du reconditionné. À l’instar d’Apple fin 2014, certains fabricants développent de nouvelles offres de reprises des appareils actuels pour stimuler les ventes sur les marchés les plus matures. Idem pour les opérateurs, qui se lient avec des spécialistes de la réparation et du reconditionnement afin de proposer (en marque blanche) de nouvelles offres de récupération des terminaux. « Nous travaillons par exemple avec Bouygues Telecom Entreprises, SFR, Orange Espagne et Swisscom », indique Benoit Varin chez Recommerce. Comment ? « Les commerciaux de ces opérateurs proposent aux clients des offres de reprise des anciens modèles, ce qui leur permet de leur offrir des tarifs plus intéressants sur les achats d’appareils neufs. Nous nous occupons de la récupération et de la remise en état de ces appareils… »

Au-delà des smartphones, les demandes pour du matériel d’occasion, encore rares, portent souvent sur des modèles de téléphones fixes d’ancienne génération « que nous ne pouvons plus trouver en « vente neuve » », indique Tiphaine Hersant, directrice marketing d’Artelcom, un intégrateur spécialisé dans la relation client. Ces postes reconditionnés permettent de prolonger à moindres frais la vie d’un réseau « vieillissant ».

Mais la sensibilité écologique des dirigeants se développe aussi, selon Pierre-Alexandre Fuhrmann, directeur général délégué de Mitel France (anciennement Aastra) : « Les critères environnementaux sont de plus en plus intégrés aux grilles de notation des acheteurs. Et les entreprises certifiées ISO 14001 (management en environnemental) se montrent particulièrement attentives à notre capacité à gérer tout le cycle de vie du produit. » Sans aller jusqu’à la réparation des modèles défaillants ou obsolètes, Mitel est partenaire d’Ecologic, une société agréée par l’Etat pour la collecte et le traitement de tous les déchets d’équipements électriques et électroniques – « Cette société prélève les déchets chez nos revendeurs et elle les retraite pour récupérer les matériaux réutilisables », souligne le directeur. Son concurrent Avaya, lui aussi spécialisé dans les matériels et logiciels pour les télécoms, a quant à lui contracté avec SIMS Recycling Solutions pour le retraitement de déchets analogues.

De nouvelles marges pour les distributeurs

Au-delà du recyclage, de plus en plus de sociétés se lancent dans la commercialisation de produits réparés, testés et « reconditionnés à neuf » (dans le jargon métier). En 2015, Cordon Electronics – grand spécialiste du SAV et de la réparation des produits électroniques grand public et professionnels (10 sites industriels en France et 2 300 collaborateurs dans le monde) – a ouvert Econectik, son premier site de vente de produits d’occasion de qualité : on y trouve des smartphones (iPhone 5C, Galaxy S5 de Samsung…), quelques tablettes (iPad 4), et de nombreux accessoires particulièrement prisés par les pros (notamment des micro-casques Plantronics).

Les spécialistes du reconditionnement commercialisent pour leur part les téléphones, tablettes et ordinateurs remis à neuf sur leurs propres sites, via des revendeurs ou sur les grandes places de marché en ligne (Amazon, Cdiscount.com ou Rue du Commerce…), avec des rabais de l’ordre de 50 à 70 % sur la valeur initiale. C’est le cas du normand Green & Biz (Remade In France) ou du distributeur de solutions de communication professionnelles Itancia. Créé en 1991, ce distributeur, à la tête d’un réseau de plus de 3 000 revendeurs, propose à la fois du neuf et de l’ancien sur un très large éventail de produits (ce qui constitue l’une de ses grandes forces sur le marché pro) : les smartphones et les tablettes, bien sûr, mais aussi les postes numériques IP ou DECT, les routeurs, les hubs, les commutateurs ou encore les cartes à intégrer dans les serveurs autocom…

De juteuses activités, si l’on en croit Alexandre Marie, responsable marketing d’Itancia : « Nos offres éco-recyclées génèrent environ 15 % du chiffre d’affaires du groupe mais elles pèsent de l’ordre de 30 à 40 % de la valeur générée ».

Même son de cloche chez Integrasys, distributeur spécialisé dans les communications unifiées, qui explique avoir ajouté la vente de matériels reconditionnés à sa carte pour compenser des marges en diminution sur le neuf. « Malgré des prix de vente plus bas, les marges sont supérieures à celles que nous réalisons avec la distribution d’équipements neufs », relève Emmanuel Dubois, directeur marketing de ce grossiste ayant fusionné avec HL2D en 2011. Il s’appuie sur son réseau de revendeurs et d’intégrateurs pour racheter aux entreprises leurs anciens parcs, avant de les confier à un partenaire chargé de la réparation et du reconditionnement, puis de les proposer à la revente par l’intermédiaire de son réseau de revendeurs. « La principale difficulté de cette nouvelle activité consiste à savoir fournir une quote, un prix de reprise, et un bon prix de revente », observe Emmanuel Dubois.

Mais la concurrence devrait se durcir. Tech Data et Ingram Micro, les deux principaux grossistes en produits technologiques, s’intéressent en effet eux aussi aux produits reconditionnés. Le premier s’est doté en 2012 d’une offre ciblant spécifiquement les smartphones et les tablettes (TD Cash Recycle). Et le second a finalisé l’an dernier le rachat du spécialiste français de la maintenance et de la réparation d’appareils électroniques Anovo, à l’origine du site Web Love2recycle.fr (achat et revente de mobiles, tablettes et accessoires…). L’objectif pour Ingram Micro n’est autre que de développer de « nouveaux services de gestion du cycle de vie des solutions mobiles ». Le rachat d’Anovo pourrait lui permettre de faire mouche.