Journal des télécoms – « La réalité virtuelle à l’épreuve du réel » (04/2017)

Après avoir conquis les gamers, les fabricants d’automobiles et les avionneurs… la réalité virtuelle s’impose aujourd’hui dans une foule de secteurs, tels la médecine et la formation. Tour d’horizon des solutions émergentes et des expérimentations en cours.

« Il y a un phénomène d’inversion assez amusant à constater », lance Olivier Sagory, directeur « software engineering » de la société de services internationale Avanade, co-détenue par Microsoft et Accenture, lorsqu’on l’interroge sur la réalité virtuelle. « Les technologies de VR (virtual reality) ont initialement surtout été utilisées dans l’entreprise, dans des salles dédiées, puis elles se sont propagées au grand public, grâce à l’arrivée de masques et de casques plus abordables (l’Oculus Rift, le HTV Vive, le Playstation VR…). Et actuellement, sous l’effet d’une démocratisation de ces masques et solutions, on constate qu’elles entrent en force dans tous types de sociétés, où les collaborateurs s’attendent à voir émerger des solutions de ce type dans leur quotidien. »

On distingue trois principaux segments : la réalité virtuelle, la réalité augmentée et la réalité mixte – un concept cher à Microsoft, à l’origine défini par les chercheurs Paul Milgram et Fumio Kishino. De quoi parle-t-on ? « Avec la réalité virtuelle, on propose aux utilisateurs de s’immerger dans un environnement totalement virtuel et on trompe une partie de la perception de l’être humain », explique Olivier Sagory. « Mais avec la réalité augmentée, on se contente d’ajouter de l’information sur le réel, et donc d’augmenter le réel (le jeu Pokémon Go nous a offert un bel exemple de ce qu’il est possible de faire…). Et avec la réalité mixte, on joue sur les deux tableaux et propose à la fois de l’immersion et de la réalité augmentée : on superpose de l’information sur le réel et on amène ainsi de plus en plus le réel et le virtuel à se confondre, au point que l’utilisateur ne sait plus s’il est dans le monde virtuel ou réel…»

Du CAVE aux masques et écrans

L’éditeur français Dassault Systèmes, très présent sur ce créneau, utilise pour sa part beaucoup l’expression anglaise « immersive virtuality » (IV), qui signifie « immersion virtuelle ». « Dans beaucoup de pays, et notamment en Asie, l’expression « réalité virtuelle » fait essentiellement penser – à tort – à un clone de la réalité, virtualisé, ou à la maquette numérique d’un futur produit », justifie David Nahon, directeur « immersive virtuality » au 3DExperience Lab de Dassault Systèmes. « Or nous cherchions une expression qui ne confonde pas la réalité virtuelle et une simulation 3D qui ne serait pas pleinement immersive. Le but est de véhiculer aussi la notion clé de ressenti de l’utilisateur. »

Car si les lunettes et casques de réalité virtuelle ont popularisé le concept, la réalité virtuelle est tout sauf une notion nouvelle pour cet éditeur, spécialisé dans la conception assistée par ordinateur (CAO), la modélisation et la gestion du cycle de vie des produits (PLM). Pour David Nahon, « les CAVE (« Cave Automatic Virtual Environment) » en anglais) existent depuis longtemps et continueront d’exister : il n’y a pas une seule voiture ou un seul avion qui ne passe pas aujourd’hui par ce type de salle, notamment pour valider les différentes étapes de conception des produits ou bien pour étudier l’impact de telle ou telle modification… ».

Mais le coût d’acquisition et de maintenance de ce type d’équipement (entre 500 000 et 1 million d’euro a minima) est prohibitif pour les plus petites entreprises : il faut équiper de vidéoprojecteurs et de capteurs un cube une petite salle d’au moins 9 mètres carrés (3m x 3m) dans laquelle l’utilisateur sera en totale immersion et pourra interagir avec les objets virtuels… « Avec les casques et lunettes, la réalité virtuelle devient abordable pour des particuliers et des petites structures, comme les magasins, les musées ou les lieux de médiation culturelle… »

Et sans équipements spécifiques, autre qu’un ordinateur ou une tablette, la plate-forme en ligne Homebyme proposée par ce même éditeur aux particuliers leur permet « de créer une maquette numérique de leur habitat puis de tester virtuellement des agencements ou d’interagir avec les professionnels susceptibles de les réaliser », relève pour sa part Marc Pavageau, vice-président 3DVIA chez Dassault Systèmes.

Des savoir-faire éparses

Certains fournisseurs de lunettes de réalité augmentée à visée pro, comme Epson, puisent leur savoir-faire « historique » dans les projecteurs. « Lorsque nous avons commencé à nous intéresser à de nouvelles opportunités sur les marchés de l’IoT (internet des objets) ou des objets connectés, nous avons rapidement identifié les technologies que l’on possédait déjà et qui étaient susceptibles de nous aider », explique Valérie Riffaud-Cabgelosi, responsable du développement de nouveaux marchés chez Epson. « C’est le cas des panels que nous utilisons dans les projecteurs et qui étaient toujours plus petits. Il est apparu que la miniaturisation de ces équipements était telle que l’on pouvait désormais envisager de les introduire dans les branches d’une paire de lunettes et les proposer pour des usages professionnels. »

Dans leur troisième version (BT-300), sortie fin 2016, les lunettes connectées binoculaires Moverio d’Epson « sont 72 % plus légères que les premiers modèles » et elles ont pu être associées à une application de pilotage des drones de DJI, un grand fournisseur chinois de drones. Plus récemment, le groupe a levé le voile sur des lunettes Moverio BT-350, spécifiquement conçues pour les applications culturelles et artistiques : elles les aident à proposer aux visiteurs des contenus affichés en réalité augmentée à coté des œuvres présentées…

Dans le petit monde de la réalité virtuelle, la société bordelaise Immersion, créée en 1994, a quant à elle enrichie ses activités historiques de négoce des équipements utilisés pour construire des CAVE dans les grandes entreprises (elle génère toujours les deux tiers de son chiffre d’affaires avec cette activité) et se définit à ce jour comme un « créateur d’expériences 3D ».

Nouveaux usages

Cette société – sélectionnée par Microsoft pour proposer dans l’industrie de nouveaux usages de réalité mixte utilisant les lunettes HoloLens – s’appuie pour cela sur son propre service de recherche et de développement. « L’objectif est de trouver des solutions permettant d’intégrer la réalité virtuelle à des processus industriels », indique Jean-Baptiste de La Rivière, directeur R&D et innovation. Entre autres exemples, Immersion a récemment conçu pour Sunna Design, une jeune pousse spécialisée dans la conception et la fabrication de lampadaires LED solaires destinés aux pays émergents, un système permettant d’intégrer des technologies de réalité augmentée à une chaîne de production. « L’outil combine en temps réel la capture vidéo du monde réel et les données numériques liées à la gamme de montage », indique Jean-Baptiste de La Rivière. « Les images sont ensuite superposées de sorte à ce que l’opérateur puisse suivre les instructions pas à pas ».

Dans l’industrie, toujours, Avanade étudie de son côté des scénarios visant à utiliser les HoloLens « pour proposer une assistance didactique aux opérateurs réalisant des assemblages », indique Olivier Sagory. Quant à Dassault Systèmes, il dit être de plus en plus sollicité par de grands acteurs de la distribution, soucieux de s’appuyer sur des technologies de réalité virtuelle pour « modéliser les nouvelles possibilités d’agencement d’un magasin » et éventuellement jauger « l’impact de ces modifications auprès d’un panel de clients », indique David Nahon.

Enfin, la réalité virtuelle est fréquemment utilisée pour la formation. Dans la santé, l’éditeur hexagonal SimforHealth, filiale d’Interaction Healthcare, s’est associé au centre de simulation médicale de la faculté de médecine de Nice pour proposer en formation « un cas clinique virtuel d’urgence en pneumologie », souligne Sophie Hervé, responsable marketing (l’entreprise propose l’une des premières bibliothèques de cas cliniques virtuels sur son site Medicacitv.com).

Et dans les transports, Emissive, société spécialisée depuis 2006 dans la création de dispositifs de formation ou de communication immersifs, vient notamment de développer un outil de formation immersif pour l’Université de l’ingénierie de la SNCF. Le but est d’aider les employés appelés à intervenir autour des rails de chemins de fer à appréhender – en réalité virtuelle et par l’intermédiaire d’un casque HTV Vive – « les dangers susceptibles d’intervenir et les gestes à adopter ». Selon Emmanuel Guerriero, cofondateur d’Emissive, « l’expérience vécue par les techniciens est ainsi comparable à celle d’une formation sur site. » De quoi faciliter la mémorisation. Et inciter toutes sortes de sociétés à utiliser au maximum la VR lors des sessions de formation continue…

La VR pour soigner les phobies
Virtualis, l’un des premiers pourvoyeurs français de technologies de réalité virtuelle appliquées au secteur de la santé, a développé une technologie PsychoVR permettant aux patients de se frotter « virtuellement » aux objets au cœur de leurs angoisses (araignées, souris…), sous le regard bienveillant d’un praticien expérimenté. Le système est immersif et il a été conçu en partenariat avec le laboratoire de réalité virtuelle de l’hôpital Van Gogh (en Belgique).
L’entreprise s’est à l’origine fait connaître pour ses technologies de rééducation utilisant la réalité virtuelle, explique le kinésithérapeute Franck Assaban, fondateur de Virtualis. « Je cherchais depuis assez longtemps à trouver une solution permettant de remplacer la boule à facettes, qui est l’un des équipements fréquemment utilisés pour la rééducation vestibulaire », explique-t-il. « Ce matériel, qui projette des points lumineux dans une pièce et donne une vision de mouvement, avait l’inconvénient d’être assez coûteux et difficile à installer. Nous l’avons donc remplacé par un casque de réalité virtuelle HTC Vive. »